Les trois couronnes du matelot, le film de 1983 Feu rouge cinéma

Les trois couronnes du matelot (1983)

Sorti en France le 5 octobre 1983.
Diffusé en France le 31 juillet 1985 sur ANTENNE 2 FR.

De Raoul Ruiz ; avec Jean-Bernard Guillard, Philippe Deplanche, Nadège Clair, Lisa Lyon, Jean Badin, Pauline Brunet.

Pour adultes.

Dans un bar, un homme a commencé à écrire sur un cahier : Il ne convient pas d’importuner le lecteur par le détail de nos aventures dans ces mers. Qu’il suffise de lui dire qu’avant notre arrivée aux Indes Orientales, nous fûmes chassés par une violente tempête. Nous pûmes constater que nous nous trouvions au centre…

La nuit du 25 juillet 1958, il a été forcé de tuer l’antiquaire Latislav Lucazievitch, son protecteur lorsqu’il était enfant, son maître dans l’art de polir les diamants, son tuteur à l’école de théologie de Varsovie. Rien, presque rien, c’est ce que lui rapporta ce crime, si ce n’est l’anneau – que l’antiquaire essaya plusieurs fois, sans succès, de m’offrir ; quelques centaines de Marks allemands ; une collection de monnaies antiques sans aucune valeur ; et une longue lettre d’adieu où il lui conseillait de quitter le pays le plus tôt possible. Ce conseil fut le dernier, peut-être parmi tant d’autres qu’il lui donnât de son vivant, et qu’il fut obligé de suivre à regrets.

L’étudiant Taddeus Krasinski, qui préférait se nommer à la troisième personne, sortit avec une idée fixe, celle de prendre le premier train pour Varsovie. En ce temps-là, le seul fait de s’exposer dans la rue après minuit dénonçait expressément un comportement suicidaire. Pendant quelques heures il erra sans but ; on entendait des bruits lointains d’escarmouches. À ce moment il crut même entendre le bruit d’une balle qui lui frôla la tête ; il pensa avec nostalgie que la balle perdue lui était prédestinée… Mais cette fois-ci encore, le Destin s’était arrangé pour changer le cours des évènements, en lui faisant cadeau de ces quelques millimètres qui le séparaient irrémédiablement d’une mort réparatrice.

C’est alors qu’il vit le matelot. Il demanda ce que ce dernier cherchait à une heure pareille, et le matelot répondit qu’il le cherchait, lui. Il lui demanda ce qu’il faisait, s’il avait un sauf-conduit, et le matelot lui demanda s’il en avait un, lui. Il répondit que non, mais que son cas était forcément différent. Le matelot déclara avoir besoin d’argent, très peu. Il répondit qu’il le savait, qu’il avait beaucoup d’argent, et sortit des billets qu’il agita. Le matelot déclara que c’était trop, mais il répondit que c’était des Marks d’avant-guerre et que cet argent était sans valeur.

Le matelot répondit que lui aussi avait de l’argent, et proposa de l’inviter. Il demanda où. Le matelot répondit là ou ailleurs – les matelots connaissent beaucoup de lieux… Mais il s’excuse, veut partir car il y a le couvre-feu et il n’a pas de sauf-conduit. Le matelot répond que les matelots connaissent des lieux que seuls les matelots connaissent. Le matelot insiste : il a besoin de lui – enfin, il veut dire, lui a besoin du matelot. Il demande pourquoi il aurait besoin d’aider un matelot qui a trop bu. Le matelot répond en lui demandant pourquoi il aiderait un étudiant qui a fait une bêtise – pourquoi lui, plutôt qu’un autre. Pourquoi l’aiderait-il à s’évader le soir même. Il demande alors pourquoi un étudiant en difficulté devrait-il avoir confiance en un inconnu qui prétend s’ériger en protecteur. Le matelot faisant allusion au fait que l’étudiant est recherché à ce moment-même, l’étudiant se déclare intéressé de le connaître…

Ils se rendent alors dans une salle de bal aux voutes illuminées sous lesquelles valsent les couples se reflétant à l’infini dans les miroirs qui couvrent les murs. Ils s’assoient. Le matelot répète qu’il a besoin d’argent ; l’étudiant répète qu’il n’a que des marks. Le matelot répond qu’il a besoin de trois couronnes danoises – avant le lever du soleil : est-ce que l’étudiant a trois couronnes danoises ? Le matelot rappelle que l’étudiant doit partir avant le matin ; dans le bateau du matelot, il y a une place – la sienne. La place vaut trois couronnes danoises.

Comme le matelot frappe du plat de la main sur la petite table voisine, l’étudiant finit par avouer : il est probable qu’il puisse trouver les trois couronnes. Alors le matelot demande à l’étudiant s’il croit en l’au-delà. L’étudiant demande s’il parle d’une autre vie. Le matelot montre un point sur la petite table et lui demande d’approcher. Comme l’étudiant se penche, le matelot le saisit par le col, lui plaque le nez contre la table, et se lève, pointant de l’index la voûte illuminée du plafond, et répétant qu’il parle de cela, tout cela, tandis que l’étudiant exige d’être relâché.

Le matelot vide sa bouteille et se rassoit. L’étudiant, qui a repris sa place et regarde droit devant lui, finit par répondre qu’il ne croit pas en l’au-delà et qu’il est athée. Le matelot ricane, puis il est pris d’une quinte de toux. Il reprend : son histoire devrait intéresser l’étudiant ; c’est une histoire qui concerne l’au-delà, et serait faite pour l’étudiant, et que ce dernier sera forcé d’écouter… c’est le prix de sa place dans le bateau ; ce n’est pas cher – c’est le prix, plus…

Le matelot s’interrompt, jure plusieurs fois, car il a oublié la suite, puis se rappelle : plus trois couronnes danoises. L’étudiant baille. Il préfère parler de lui à la première personne dans les moments d’ennui, se résigna à écouter une histoire de plus, l’une de ces innombrables histoires qui naguère le passionnait quand il errait de bar en bar à la recherche d’un bateau pour s’embarquer et partir loin.
C’est une histoire qui a commencé à Valparaiso, il y a quelques années, quand le matelot errait sans un sou cherchant une place pour s’embarquer, alors que des centaines de jeunes gens comme lui erraient dans les ports, cherchant n’importe quelle place pour pouvoir s’embarquer. Chaque jour il allait sur le port parcourant les agences maritimes ; mais il y avait de longues listes d’attente qui ne laissaient pas d’espoir de travail avant plusieurs mois, voire plusieurs années…

Et en dépit de cela, chaque jour ils revenaient chercher du travail ; ils attendaient toute une longue journée, sans rien faire… Oui, le matelot s’en rappelle comme si c’était la veille : il y avait un homme qui ne pouvait pas s’empêcher de mentir tout le temps ; rien de ce qu’il disait n’était vrai ; rien de ce qu’il n’avait l’apparence d’être ne correspondait à la réalité.

Les trois couronnes du matelot, le film de 1983

Les trois couronnes du matelot, le film de 1983

Les trois couronnes du matelot, le film de 1983

Les trois couronnes du matelot, le film de 1983

***

Donnez votre avis sur ce film en nous rejoignant sur le forum Philippe-Ebly.fr

***