2084, le court-métrage de 1985  Feu vert cinéma

2084 (1985)
Sous-titre : Video clip pour une réflexion syndicale et pour le plaisir.

Sorti en Allemagne de l'Ouest le 5 juillet 1985.

De Chris Marker (également scénariste) ; avec François Périer, Sophie Garnier, Bibiane Kirby, Atika Tahiri.

Pour adultes et adolescents.

Le 29 mars 2084, le robot présentateur de la télévision intergalactique a été programmé pour célébrer dans les termes suivants : le deuxième centenaire de la loi de 1884 qu’on s’accorde à prendre pour point de départ du mouvement syndical. Bien perplexes ils étaient, ceux qui avaient reçu commande d’un film consacré à cent ans de syndicalisme en France, et qui avaient imaginé de sauter carrément encore un siècle… Sans doute un peu écrasés par la difficulté, et peut-être la crainte de se dire où ils en étaient, ils fouillaient plutôt dans leurs machines pour se dire où ils en seraient.

Cette question ne pouvait prendre que la forme d’hypothèses : après avoir jeté un certain nombre d’idées aux quatre vents – ils en avaient retenues trois, dotées chacune d’une couleur. Elles s’articulaient sur un certain nombre de mots recueillis au cours d’une petite enquête préalable. Les questions étaient : qu’est-ce que tu aimes, ou qu’est-ce que tu n’aimes pas ?

J’aime pas le folklore, avait dit une jeune femme. Moi j’aime pas la politique, avait répondu un jeune homme, qui après une moue, avait ajouté : (enfin) certaines politiques. J’aime pas le bavardage insipide, avait affirmé un moustachu ; les stéréotypes, les choses rigides, avait déclaré un barbu. Un jeune binoclard un peu punk avait maugréé qu’il n’aimait pas la grisaille des syndicats, des manifestations – parce que tout est un peu gris.

L’hypothèse grise, c’est l’hypothèse « crise » : une crise dont on ne sort pas. Le système de couverture sociale permet d’en atténuer les effets, au coup par coup – mais l’imagination s’y épuise : quand on a besoin de toute son énergie pour se maintenir à flot, il n’en reste guère pour inventer l’Avenir. Bien sûr, la crise peut s’exaspérer jusqu’à l’explosion – sociale, ou nucléaire. Là, le raisonnement s’arrête, bien forcément : il y aura peut-être un syndicat des scorpions, puisqu’on prétend qu’ils survivront à la Bombe, mais disons que cela nous concerne moins...

Non, le plus probable, dans cette hypothèse, c’est une société peureuse qui ronronne et se donne de fausses sécurités dans l’espoir d’un équilibre toujours remis en question. Là, le syndicat est au mieux, une organisation puissante et protectrice, efficace à sa manière, qui utilise les techniques de pointe pour gérer vos intérêts, garantir votre emploi, vous assurer le maximum de confort : vous vous en remettez à lui, qui prend pour vous les décisions qui règlent votre sort.

Qu’est-ce que je dois faire ? Ayez confiance.

Ce syndicat-là ne se mêle pas d’inventer une autre société – l’utopie, très peu pour moi. La société, elle est comme elle est : il y a toujours des nantis, toujours des exclus – on ne peut pas être partout, n’est-ce pas ? Et les marginaux, ils n’ont qu’à être comme tout le monde. Mais c’est un syndicat qui a du poids en face des banquiers, en face des patrons, en face du pouvoir – quel que soit le pouvoir. Ce syndicat a aussi des traditions – il les cultive, parce que la nostalgie du Passé est bien pratique pour occuper la place de cette nostalgie de l’Avenir, qu’en d’autres temps, on baptisait « Révolution ». Alors le cérémonial syndical devient aussi lourdingue que celui de la cour d’Angleterre : il y a toujours des congrès, des meetings, des défilés, des mots d’ordres… Mais quel ennui !

Qu’est-ce que tu n’aimes pas ? La mort – le journal unique – le racisme – le mépris – la peur.

Il y a pire – il y a toujours pire. Et c’est, l’hypothèse noire. Cela peut-être le fascisme, cela peut-être le stalinisme. On connait. Et parce qu’on connait, cela parait, dans une certaine mesure, moins dangereux : on peut espérer qu’on le verra venir… Ce qu’on voit moins venir, c’est un monde où la technique a pris la place des idéologies. C’est pour cela que, pour la rime, on l’appelle désormais « Technologie ». Cette technologie – l’appropriation de cette technologie, à qui peut-elle servir ? Qui doit en contrôler l’évolution ? a été la grande question de la fin du 20ème siècle – son véritable enjeu. Faute d’avoir compris à temps cet enjeu, on a laissé le gouvernement de l’Avenir entre les mains d’une nouvelle espèce de dirigeants : des techno-totalitaires. Oh, cela n’a pas été sans a-coups…

2084, le court-métrage de 1985

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